Jour 9/80 — Jazz

Le tour de Londres en 80 jours

En ces temps d’incertitude, j’ai besoin d’une ligne de vie, d’un horizon ; j’ai donc — de façon quelque peu arbitraire, je l’admets — fixé une date. Le 1er avril sera mon horizon ; et ma ligne de vie, les 80 jours qui m’en séparent.

Et comme le temps n’est pas aux tours du monde, je vous propose un « Tour de Londres en 80 jours » : Quatre-vingt impressions de Londres, quatre-vingt histoires, lieux, pensées issu(e)s de mon expérience de cette ville formidable et affolante.

Jour 9 : Jazz

En 1959, le saxophoniste Ronnie Scott* ouvrait un petit club de jazz à Soho, pour que les musiciens locaux puissent venir jammer. Aujourd’hui, le Ronnie Scott’s Jazz Club est un des clubs de jazz les plus prestigieux dans le monde — et l’un des plus célèbres.

Tous les grands noms du jazz s’y produisent depuis des décennies. Et dans le bar d’en-haut, le mercredi soir (tard), les musiciens locaux et de passage peuvent encore y venir pour y jammer, se rencontrer et boire un coup.

Les jams jazz peuvent être des expériences formidables ou terrifiantes. Les musiciens s’y rencontrent mais s’y mesurent aussi les uns aux autres, et l’élément de compétition prend parfois le dessus sur le simple partage de la musique et des connaissances. Pour moi, le sens de la musique est d’abord et avant tout le plaisir partagé, et je n’aime pas avoir à prouver quoi que ce soit. Mais quand on arrive dans une nouvelle ville sans connaître personne, il faut un peu sortir de sa zone de confort. Peu de temps après mon arrivée à Londres, j’ai donc décidé de prendre mon courage à deux mains et d’y aller, à cette fameuse jam du mercredi soir.

Ça commence à 23h (la plupart des musiciens de jazz dorment avant ça, de toute façon). Un groupe de la maison joue un petit set et puis la jam s’ouvre. Mon fidèle saxophone soprano sous les pieds, je m’assieds à une table et commande un verre que je compte faire durer une bonne partie de la soirée : la vie est décidément très chère à Londres.

Comme souvent dans ces jams, il n’y a que des mecs et des chanteuses. Je m’approche du groupe des musiciens. Directement, on me demande de confirmer : « Chanteuse ? ». Non, saxophoniste. « Ah, c’est chouette ça ». Le ton légèrement condescendant du macho de base. Pas question de montrer mes doutes et mes insécurités ici : il faut que j’ai l’air sûre de moi et de ce que je fais, même si ce n’est qu’à moitié le cas. Il me demande ce que je veux jouer. Je réponds : « Alone together ». C’est toujours ce morceau que je choisis en premier dans une jam : pas trop bateau, pas compliqué mais avec une structure un peu originale, c’est une bonne façon d’indiquer que je sais tout de même un peu de quoi il retourne.

La section lance le morceau, et j’attaque : mi sol, mi fa#, mi fa# sol siiiiiiiii mi,… Je pense à Steve Lacy, à Wayne Shorter ; avec mon soprano, tout est possible, il fait partie de moi, on peut tout faire ensemble. Je joue, je frime un peu mais j’y vais, à fond, j’improvise, je suis comme en transe. Le morceau touche à sa fin, le calme revient. Je lève la tête : ça a marché. Quelques sourires et on enchaîne avec le morceau suivant.

*Au fait, c’est Ronnie Scott qui joue le solo de saxophone sur le morceau Lady Madonna des Beatles. Si si, il y a bien un solo de saxophone sur Lady Madonna, ré-écoutez !

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